jeudi 14 mai 2009

Tant de cerveaux disponibles

Puisqu'elle est dans l'air du temps, je ne vois pas trop comment éviter de parler (une fois de plus) de ce sujet éminemment d'actualité qu'est la crise.

C'est donc la crise qui pousse de nombreux cabinets à ne plus recruter voire à remercier certains de leurs collaborateurs.

C'est la crise qui pousse les clients à reporter le paiement des honoraires d’avocats sine die voire à refuser de les régler.

C'est la crise qui oblige (permet ?) les associés à se séparer de leurs collaborateurs sans autre explication qu'un lapidaire : "Tu comprends, c'est la crise".

C'est la crise qui leur permet de demander à leurs collaborateurs d'accepter une réduction de 15 à 30% de leur rétrocession d'honoraires sans que ces derniers s'en offusquent. Conscients qu'ils sont qu'il vaut mieux travailler autant pour gagner moins, que ne pas travailler et donc ne rien gagner.

C'est la crise qui fait que le directeur de l'EFB nous annonçait récemment que (seuls) 600 élèves de notre promotion - sur la bagatelle de 1169 - avaient décroché une collaboration, alors même que dans 4 mois, une nouvelle promo de 1400 élèves obtiendra son CAPA et débarquera, à son tour, sur ce marché déjà saturé.

C'est la crise qui fait que des confrères acceptent des collaborations à mi-temps (faute de mieux) alors que d'autres se sont d'ores et déjà recentrés, pour les mêmes raisons, vers le métier de juriste d'entreprise.

C'est la crise qui fait que sur le marché du collaborateur, l'offre n'a probablement jamais été à ce point supérieure à la demande.

C'est elle qui fait que le temps de cerveau disponible du collaborateur est si bon marché et que tant de cerveaux sont disponibles…

5 commentaires:

shoutka a dit…

Bonsoir!
J'ai lu et apprécié depuis quelques mois vos réflexions et commentaires sur ce métier d'avocat que vous semblez beaucoup apprécier et vouloir exercer avec sérieux.
Vous évoquez la difficulté de nombreux jeunes avocats diplômés à trouver une collaboration, ou la rupture de ladite collaboration pour d'autres.
Ce problème est cependant ancien. A titre personnel, j'enseigne depuis près de 25 ans et,il y a déjà 15 ans,nous déconseillions aux élèves les filières droit, psychologie..., certes intéressantes, mais qui comptaient un nombre trop important d'étudiants...
Une étude commandée par la direction de l'EFB, en juillet 2006 ,visant les diplômés 2005 (promotion Simone Veil) indiquait déjà les résultats suivants:
-à la question" exercez-vous actuellement la profession d'avocat?": oui 65%; non 35%
- à la question combien d'offres reçues?: 1 seule 56%; 2:27%
- à la question "dans quel domaine du droit exercez-vous? (pour ceux qui avaient trové une collaboration): droit des affaires 79%.
En résumé, les difficultés à trouver une collaboration en tant qu'avocat sont anciennes, et si la grande majorité trouvait un emploi en droit des affaires, il est malheureusement cohérent qu'en raison de la crise économique, le nombre d'emplois dans ce domaine diminue fortement.
Par ailleurs, pourquoi former 1400 futurs avocats, quand on connaît déjà les difficultés des précédentes promotions?L'université de Dauphine vient de fermer le réputé master 203 pour l'an prochain,ne souhaitant pas "former des futurs chômeurs"...Je déplore que des jeunes gens ayant consacré plusieurs années à étudier soient déçus ou amers, mais malheureusement beaucoup choisissent leur future profession uniquement en fonction de leurs goûts, sans prendre en compte la réalité du marché du travail. On manque de personnel dans les secteurs de la santé (infirmiers-infirmières), hôtellerie-restauration...et d'autres encore.

Maître Spcial a dit…

Bonjour,

Je vous remercie pour ce commentaire très intéressant.
Le fait que les difficultés pour trouver et conserver une collaboration aient toujours existé est incontestable. La crise a parfois bon dos.

En revanche, je ne soutiens pas l’idée qui consiste à laisser entendre qu’il faudrait instaurer à terme un numerus clausus pour s’en sortir. Sur les 1400 élèves de la nouvellle promo (Abdou DIOUF) tous ne sont pas certains de faire ce métier toute leur vie. Loin s’en faut. Les statistiques indiquent d’ailleurs régulièrement que 40% des avocats d’une promotion quittent la profession au bout de 2 ans d’exercice et que 50% n’en font plus partie au bout de 5 ans.

Si un numerus clausus imposait 500 élèves à l’EFB au lieu des 1400 actuels, rien ne garantirait que plus 300 d’entre eux soient là 2 ans plus tard.
À ce rythme, baby boom oblige, on manquerait rapidement d’avocats.

Pour ce qui est de choisir sa profession autrement qu’en fonction de ses goûts, je déplore souvent l’inverse, à savoir que des gens choisissent une profession qu’ils n’aiment pas et l’exercent mal en grande partie en raison d’un manque d’envie et de motivation. Si quelqu’un ressent une vraie vocation pour ce métier, rien ne lui empêche de tenter sa chance, quitte à changer ensuite de voie. Ne dit-on pas que « le droit mène à tout ».

Sans aller jusqu’à conseiller à un futur avocat de devenir infirmier uniquement par pragmatisme, Il y a probablement un effort à faire en termes d’orientation dès la 1e année de droit sur les perspectives réelles sur le marché du travail de telle ou telle spécialité vers laquelle entend se diriger un étudiant (communautaire, droit public, droit social, droit financier, etc…)

Tout en sachant, que tout cela sera plus ou moins sujet à changement en fonction du contexte économique.

shoutka a dit…

Votre réponse confirme ce que j'ai pu ressentir en lisant vos différents articles, y compris sur votre précédent blog avant que vous n'obteniez le CAPA...vous êtes très réellement intéressé par votre profession et soucieux de vous y investir.Je ne suis donc pas étonnée que vous évoquiez une "vocation". Reste à préciser ce que l'on entend par ce terme.
Vocation peut aussi bien signifier "talent, disposition" que "inclinaison". Or on peut avoir une inclinaison pour une profession (ou sport ou...) sans posséder les talents pour l'exercer, et inversément, avoir les capacités , sans goût pour pratiquer l'activité, l'art ou le sport où elles pourraient donner leur pleine mesure.
Concrètement, mon expérience m'a fait rencontrer des jeunes gens désireux d'enseigner et transmettre leur goût pour une matière, par exemple, mais qui de fait éprouvaient beaucoup de difficultés à communiquer (excès de timidité, ton moncorde) ou d'autorité "naturelle".Et ceci après avoir passé les épreuves d'admissibilité au CAPES! Si j'évoque mon cas personnel, je n'ai très sincèrement jamais eu de vocation pour exercer une quelconque profession (désolée si cela vous choque), mais, soucieuse de "gagner ma vie" très jeune, j'ai expérimenté le métier de professeur à 19 ans. De l'avis conjoint du proviseur et des élèves, j'ai démontré de très réels talents dans ce domaine...et ai passé les concours adhoc.Il est cependant très clair que j'aurais pu faire un choix totalement différent, et que, si cela m'avait été possible, je n'aurais pas travaillé du tout!En conséquence, ce n'est pas parce que l'on pratique un métier dont on n'a pas rêvé, qu'on le fait mal.J'ai un jour lu cette phrase "être adulte, c'est aussi apprendre à accepter les frustrations".

Je vous rejoins quand vous évoquez qu'un effort d'orientation est à faire en 1ère année d'études de droit (ceci est naturellement valable pour les sciences, lettres..) sur les perspectives réelles d'embauche suivant les spécialités;cependant, j'estime aussi que les étudiants, par le biais des "jobs d'été" par exemple, peuvent aussi prendre conscience "du terrain" et des pratiques réelles d'une profession. Or si c'est le cas pour certains, il semble que beaucoup aussi attendent les stages obligatoires de l'EFB pour enfin se mesurer aux réalités(cf les admissibles au CAPES).J'ai personnellement beaucoup de difficultés à comprendre que de jeunes adultes attendent l'âge de 22-23 ans (dans le meilleur des cas) pour se confronter au monde du travail.Je ne comprends pas davantage les parents qui acceptent ce genre de situation.

Par ailleurs,vous écrivez que, si l'on instaurait un numerus clausus à l'EFB,en tenant compte du fait que 50% des diplômés d'une promotion n'exercent pas la profession d'avocat, on manquerait rapidement d'avocats. A priori, votre raisonnement se tient. Mais ceci suppose que toutes les personnes d'une promotion qui obtiennent le CAPA avocat renoncent d'elles-mêmes à exercer cette profession, et non pas en raison d'un manque de compétences.Or voici certains propos tenus par Gérard Nicolaÿ directeur de l'EFB : "Chacun sait, avocats, partenaires de l'Ecole et anciens élèves, que l'EFB n'était pas à la hauteur de la réputation qui aurait du être la sienne, alors même qu'elle assume la responsabilité de former les avocats de demain" (sic). Il semblerait donc que la formation des futurs avocats nécessite elle aussi d'être remise en cause. Peut-on à notre époque limiter les épreuves à "plaidoirie, déontologie, langue et stage"? Les mêmes épreuves pour exercer dans des spécialités si différentes?Peut-on imaginer un avocat d'affaires qui méconnaisse la comptabilité?Un avocat spécialisé dans la construction qui se demande comment calculer le prix du combustible pour chauffage par m² par an (là, c'est du vécu!)?
En dehors de ces particularités, le niveau et l'attitude de certains entrants à l'EFB me laissent aussi perplexe.Cela vous étonnera peut-être(très sincèrement, vous ne me semblez absolument pas appartenir à cette catégorie), mais ayant été amenée à consulter le site de l'AEA, j'ai eu la désagréable surprise de prendre connaissance du nom de la liste élue pour votre promotion;dire qu'il relève de la grossièreté est un euphémisme.Quant au niveau de langue de certains se proclamant "directeur de pôles"et publiant leurs écrits sur un site officiel,en lien direct avec celui de l'EFB, il est préférable de ne faire aucun commentaire.
En tant que cliente potentielle,il m'est impossible d'envisager de confier la défense de mes intérêts à de telles personnes.
Bref,je crois que très certainement les modalités du concours d'entrée à cette école sont à revoir, ceci de façon à n'y admettre qu'une majorité d'étudiants possédant réellement les capacités à exercer la profession d'avocat(le sans-faute me paraît difficile!). En améliorant également la formation (ce que monsieur Nicolaÿ semble décidé à faire)cela permettrait sans doute d'éviter que la moitié des diplômés d'une promotion ne se détourne de la profession d'avocat.

Maître Spcial a dit…

Bonjour,

Je suis en accord avec la définition que vous donnez de la vocation et de ses différentes implications dans ce métier comme dans d’autres.

En revanche, et j’ai déjà eu l’occasion d’en parler dans un précédent post http://avocatjunior.blogspot.com/2009/04/la-loterie-nationale.html , résumer les départs de la profession à un manque de compétences de certains confrères est beaucoup trop général pour être exact.

Les raisons qui expliquent que des avocats se détournent du métier sont multiples.
Je suis issu d’une promotion au sein de laquelle 65% des étudiants étaient des femmes qui bien souvent aspiraient à avoir une vie de famille à court ou moyen terme.

Ce métier laissant souvent peu de places à la vie privée, je peux comprendre que certaines d’entre elles veuillent se diriger vers autre chose au bout de quelques années afin de pouvoir construire une vie de famille. (Ceci est également valable pour les hommes).

Le fait est que cette profession attire beaucoup de personnes mais que sa pratique en déçoit énormément.

On est moins payé que ce que l’on pensait.
On est moins respecté que ce que l’on pensait (tant par ses patrons que par les clients).
On travaille beaucoup plus que ce que l’on pensait.
Et on peut, paradoxalement, s’y ennuyer beaucoup plus que ce que l’on pensait.

Que l’on change demain les modalités de l'examen d’entrée n’y changera malheureusement rien. Les concours et examens (CAPES et agreg compris) ont souvent pour "unique" mérite de sélectionner les étudiants les plus déterminés à réviser sérieusement et intensément lesdits examens et concours.

En revanche, je vous accorde que refonder la formation à l'EFB afin qu'elle colle plus à la pratique et qu'elle tienne compte des différentes spécialités du métier serait une bonne chose.

Anonyme a dit…

J'arrive un peu tard sur cette discussion.

Mais je confirme de nombreux points:

- oui vaut mieux travailler à mi temps que rien faire.

- oui les patrons avocats se fichent pas mal de leurs collaborateurs.

- oui dès que vous êtes enceintes, il y a quand qui dirait un malaise dans le cabinet, et ce même si votre boss est une femme qui elle-même a des enfants.

- oui la formation de l'EFB est à revoir.

- en bref, après 3 ans d'exercice, où j'ai pu tester la grande structure, la micro structure et la taille moyenne, la position de femme enceinte, je dois dire que j'ai perdu beaucoup d'illusions sur cette profession que pourtant j'adore. Si un jour mon enfant me dit je veux faire comme maman, je crois que je ferai tout pour l'en dissuader.

les principes de notre profession auxquels je crois auraient besoin parfois d'être rappelés aux "anciens".