vendredi 6 novembre 2015

Le code a changé

L'Uberisation est le sujet du moment. Mes confrères ne me parlent quasiment que de cela.

Les professions libérales, les professions réglementées en tout genre et toutes les sociétés ont, nous dit-on, vocation à être emportées par la lame de fond que constitue l'Uberisation.

L'Uberisation, c'est quoi ?

Dans ma profession, il s'agit surtout d'un néologisme visant à désigner les nouveaux acteurs, qu'ils soient avocats ou non, qui parient sur un besoin non satisfait et qui considèrent qu'en le comblant ils obtiendront un vif succès.

La plupart d'entre eux partent du postulat que les avocats sont trop chers pour qu'un client, qui a pour objectif de se voir rembourser les quelques 200 euros qu'un commerçant lui doit suite à une non livraison du produit, décide de solliciter un conseil qui lui coûtera plus afin de mener une action pré-contentieuse et ou contentieuse visant à les récupérer.

Ces plateformes proposent donc toute une série de documents explicatifs visant à permettre au justiciable de saisir seul les juridictions d'instance ou de proximité (ce que ce dernier a le droit de faire sans l'entremise d'un avocat puisqu'il s'agit d'une procédure orale).

Dans ce cas précis, l'Uberisation ne change rien à mon exercice de la profession.
Je n'intervenais pas et n'était quasiment pas sollicité pour ce type de dossier dans lequel l'enjeu économique est jugé "mineur".

Il convient de reconnaître que l'image que renvoie (à tort) l'avocat selon laquelle il va solliciter des honoraires systématiquement disproportionné par rapport à l'enjeu du litige agit comme un repoussoir pour des clients qui préfèrent souvent faire le deuil de la somme que de se lancer dans une procédure longue, éprouvante...et potentiellement coûteuse.

L'Uberisation consiste à bousculer les codes.

Vous aviez pris l'habitude d'avoir des réponses complètes aux questions que vous vous posiez lors d'un échange avec votre avocat durant lequel il reformulait lesdites questions afin de vous conseiller le plus précisément possible ; désormais un site internet, tenu par des non avocats, va vous proposer, certes de voir votre conseil en photo, mais de n'échanger avec lui que par téléphone (communication facturée X euros la minute) ou par formulaire interposé afin d'avoir les réponses à UNE de VOS questions ou plus si affinités, et ce pour X euros par questions.

Le pari de ce genre de site consiste à penser que certains clients, qui se posent de nombreuses questions, ont de vraies réticences à aller voir un avocat à son cabinet, notamment par peur que la facturation ne dérape une fois le dossier pris en charge.

L'Uberisation dans un sens plus large, c'est le fait de bousculer une profession qui n'était jusqu'ici pas prompte à s'adapter aux technologies qui l'entouraient et à revoir sa façon d'aborder sa relation client.

En cela, j'ai l'audace de croire que j'ubérise également, à ma façon, ma propre profession.

3 commentaires:

Avocat Paris 12 a dit…

Merci pour cet article !

Anonyme a dit…

Cher Maître,

Je suis Professeur agrégé des Universités et je lis avec délectation vos billets. Je conseille même la lecture des pages de votre blog à ceux de mes étudiants qui souhaitent embrasser la carrière d'avocat.

Pour en revenir à notre sujet, l'ubérisation de la profession est un nouveau défi pour les avocats qui devront réinventer leur profession. Cette uberisation existait à un niveau plus réduit. Les experts-comptables et les consultants (de surcroît non juristes) tentent de damer le pion des avocats dans le domaine du Conseil au TPE et PME.

Outre la profession d'avocat, l'uberisation, selon la définition que vous en donnez touche également le service public.

Sciences Po voulaient et veux toujours s'ériger comme une alternative au modèle de la faculté de droit que certains trouvent poussiéreux et mal adapté au monde professionnel. De là, les écoles de commerces se sont mise en tête de former des juristes grâce à des méthodes d'enseignement "avant-gardistes".

Plus généralement, les réseaux sociaux ont ubériser la communication, mais surtout la communication politique. Le tweet irréfléchi est devenu un modèle dit " parole décomplexée". Les politiques tweet, provoquent. Soit il s'excusent, soit ils revendiquent le droit à la liberté d'expression, plus exactement le droit à la liberté de dire des énormités en 140 caractères.

De même tinder ( grâce à ce mot je viens d'ubériser la démonstration professorale), n'est rien d'autre que le bousculement des codes de la séduction. La génération qui me précède rencontrait son conjoint à la guinguette,la mienne chez des amis communs, au travail ou sur les bancs de la fac. Les générations Y et Z substituent les artifices de la "cour" à un mouvement instinctif du pouce balayant les produits d'un catalogue numérique.

L'ubérisation de la profession d'avocat ne serait-elle pas une bonne chose? Ainsi, l'avocat ne peut-il pas profiter de cette situation, pour recentrer son activité. Ainsi, il pourrait évoluer vers des aspects plus techniques du droit.

En droit du travail, l'avocat est-il réellement nécessaire pour rédiger des courriers d'avertissements? N'est-il pas préférable qu'il se concentre sur des aspects de conseils plus complexe, où sur le contentieux ?

Ce fut un vrai plaisir de vous lire.

J'attends votre prochain billet.

Cordialement,

Maître Spcial a dit…

Bonjour,

Je suis en grande partie d'accord avec ce que vous indiquez. Les experts comptables sont de redoutables concurrents, à leur manière, notamment dans le domaine du droit des affaires et des constitutions de société.

Il n'est, par ailleurs, effectivement pas nécessaire de prendre trop ombrage du fait que certains sites fassent à la place des avocats des tâches à faible valeur ajoutée.

PS : Merci pour vos compliments et pour les recommandations de lecture auprès de vos élèves.